“Ces morts sont un prix inacceptable au nom de la mobilité. Il n’existe aucune excuse pour l’inaction alors qu’il existe des solutions connues face à ces problèmes”
OMS
Alors que 2020 s’annonçait comme étant une période de changements dont l’orientation globale vers une société plus responsable dans son comportement, la tendance à l’agressivité sur les routes ne semble pas avoir changée. En effet, durant ce début d’année de nombreux collègues ont subi et rendu compte d’incivilités et comportements dangereux sur la route. Lors des enquêtes Parlons-Vélo des années 2017 et 2019, des cartes ont été publiées recensant les points noirs indiqués par les répondants. Comparaison succincte des données …
Mortalité routière
Au cours de l’année 2018, 3248 personnes ont été tuées sur les routes en France métropolitaine (ONISR). Selon les données ouvertes de la sécurité routière (www.data.gouv.fr), ce nombre a peu évolué entre les années 2018 et 2019 malgré une lente diminution depuis une dizaine d’années. Pour chaque incident ayant lieu sur voie publique, des informations sont saisies par les autorités de manière à constituer le Bulletin d’Analyse des Accidents Corporels (ou Fichier BAAC) et ce depuis l’année 2005. Un défaut majeur de la méthodologie actuelle sur les chiffres de la sécurité routière est qu’elle implique l’intervention des forces de l’ordre. Or on observe un sous-enregistrement des incidents, notamment dans les cas où c’est l’usager seul qui est en faute et qu’il décide d’aller directement à l’hôpital.
Une façon de mesurer les risques lorsqu’on se déplace est de calculer le ratio du nombre de blessé par rapport à un autre élément lié à la mobilité (nombre d’usagers, kilomètres parcourus, temps passé sur les routes). Cela permet entre autres une comparaison entre les différents moyens de transports. Selon les chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé, la France fait partie des « bons élèves » avec un taux de mortalité de 5,5/100000 habitants. Le risque varie cependant fortement en fonction du type d’usager :
- 3 pour les automobilistes
- 1,2 pour les motards
- 0,9 pour les piétons
- 0,3 pour les cyclistes
Effectivement, selon les estimations alors les chances d’arriver en vie à destination seraient bien plus élevées à vélo qu’avec tout autre moyen de transport.
En dehors de ce modèle, il existe des études ponctuelles (IFSTAR) montrant qu’à l’inverse, le risque à vélo serait jusqu’à trois fois plus élevé qu’en voiture. À temps de déplacement égal, le risque d’avoir un accident à vélo est 8 fois plus élevé qu’en voiture et 20 fois plus qu’à pieds. Il reste néanmoins jusqu’à 5 fois moins important que chez les motards. Idem en terme de conséquences, le risque d’hospitalisation est plus important chez les cyclistes que chez les automobilistes ou les piétons par un facteur 10.
Étude de Cas : Besançon
À partir des données mises à disposition, il est possible de réaliser une carte des incidents routiers et des graphiques. On observe en 2017 et 2018 (les données 2019 ne seront disponibles qu’en Octobre 2020) une vingtaine de cas recensés sur la zone de Besançon. Les données n’indiquent pas la responsabilité lors des évènements, mais les derniers chiffres nationaux (similaires à ceux au niveau international) indiquent autant de fautes chez les cyclistes que les autres usagers. Néanmoins on note que dans la majorité des cas, le cycliste s’en retrouve blessé tandis que l’automobiliste est indemne en dehors d’une possible rayure sur la carrosserie.
Une première comparaison peut être faite entre les points noirs renseignés en 2017 et 2018. Sans grosse surprise, on s’aperçoit que globalement rien n’a changé. Ce sont les mêmes axes qui ressortent comme étant impraticables à vélo, à savoir :
- La rue de Dôle
- La rue de Belfort
- La rue de Vesoul
- Le boulevard des trois présidents
Par ailleurs on observe une multitude de tronçons signalés de façon à former un véritable réseau. Oser dire que le réseau cyclable urbain est satisfaisant est une insulte envers tous les habitants ! Non seulement il n’y a pas eu d’évolution jugée convenable en deux ans mais c’est en plus un véritable réseau qui se dessine contrairement à un ou deux points noirs !
Ce sentiment d’insécurité des cyclistes bisontins est-il fondé ? À l’aide du fichier BAAC, il est possible d’appuyer ce ressenti par des données d’accidentologie. On montre par superposition des cartes que la quasi-totalité des incidents (heureusement rares) ont eu lieu là où on signale des tronçons dangereux à vélo ! Ainsi, il y aurait effectivement une corrélation entre risques d’accidents et sentiment d’insécurité. Il apparait nécessaire pour les responsables de voirie de se pencher sur ces aménagements qualifiés de satisfaisants mais qui pourtant ne sont ni sécurisants ni perçus comme tels.
On remarquera l’absence d’incident sur des tronçons jugés dangereux tels que le boulevard ou le centre-ville. Cela peut s’expliquer par deux raisons :
- Un aspect méthodologique. Comme précisé auparavant, les données du fichier BAAC sont loin d’être exhaustifs et représentatifs de la situation sur les routes. Ainsi, il peut exister une quantité importante d’incidents sans blessures ne figurant pas dans le fichier. De la même façon, le questionnaire demandait de renseigner non pas les tronçons à risque de collision mais jugés négativement pour la pratique du vélo. Comme indiqué dans les commentaires libres le problème de stationnement illicite au peut avoir eu des répercussions sur la carte.
- Un aspect pratique. Il est plus que probable qu’un usager jugeant un élément dangereux tentera par tous les moyens de l’éviter. Aussi, peu sont les cyclistes assez téméraires pour braver l’autoroute urbaine que constitue le boulevard ce qui diminue considérablement la probabilité d’incidents sur ce tronçon.
Malgré des limitations liées aux données, on montre ici comment le ressenti des usagers ainsi que des données d’accidentologie permettent de mettre en évidence un laxisme local quant à la qualité du réseau cyclable. Celui-ci ne permet pas dans l’immédiat à chacun de pouvoir circuler à vélo de façon sécurisée.
Conclusion
Un large nombre de mesures ont été proposées pour réduire la mortalité des cyclistes. Elles sont réparties en différents chapitres : l’invention d’un système de surveillance pour accompagner les actions en faveur du vélo, le développement des aménagements cyclables selon une politique globale cohérente, une saillance visuelle améliorée, des équipements pour les autres usagers adaptés aux cyclistes, la mise en œuvre d’une politique d’éducation comportementale et une plus grande protection en cas d’accident.Parmi les recommandations avancées, le Comité des experts a jugé que certaines affichaient « un rapport coût-efficacité très favorable » :
– s’assurer de la saillance des vélos de nuit comme de jour,
– promouvoir le port du casque,
– prévenir l’utilisation des principaux distracteurs,
– et, sensibiliser les usagers motorisés à la présence et aux comportements des usagers de vélo.
La meilleure prévention avancée par le Comité des experts reste néanmoins, « lorsque les investissements d’infrastructures sont consentis, la création de pistes cyclables séparées du trafic motorisé »Conseil national de sécurité routière (2014)
À défaut d’une prise de conscience de la part des responsables des aménagements, ne reste aux cyclistes que la solution de se protéger eux même des risques qu’on leur impose. Régulièrement on observe des préconisations demandant aux cyclistes de se rendre visible, de se protéger le crâne et de faire preuve de vigilance. Mais il convient de rappeler qu’avant de demander aux usagers d’agir, il serait pertinent de réfléchir à ce qu’on leur offre. Les routes devraient être construite avec en tête la sécurité de chacun, avec des trottoirs adaptés et des aménagements cyclables séparés du trafic motorisé LORSQUE celui-ci est autorisé. Dans sa classification des aménagements, l’OMS indique qu’une infrastructure parfaite pour un cycliste se compose d’une piste cyclable séparée et de plateformes surélevées aux intersections de façon à favoriser sa visibilité. Cela se retrouve également chez les piétons qui nécessitent des trottoirs dédiés où ne se trouvent pas des obstacles récurrents tels que des véhicules stationnés impunément !
Face à ces campagnes publicitaires, je me demande toujours « À quand les campagnes de communication à destination des responsables ? ». De la même façon est-ce normal que faute de changement du comportement dans les rues, nous en appelons à une vigilance accrue des personnes vulnérables à défaut d’actions concrètes par les autorités censées assurer notre protection ? À vouloir circuler toujours plus vite et toujours plus loin, n’avons nous pas une part de responsabilité dans le danger constant qui accompagne la mobilité ?