« Les chiffres, on leur fait dire ce qu’on veut ». Telle était l’introduction posée par mon professeur de statistique devant un amphithéâtre d’étudiants à qui l’on avait jusque là prêché la sainte objectivité du chiffre. Ce fut également cette même personne qui plus tard me conseillait milles et une manières de détourner les données de façon à leur faire porter le message voulu. Non restreint au champ scientifique, chacun est confronté au quotidien à une multitude de données mettant à l’épreuve notre esprit critique. J’ai jugé utile de faire un petit aparté à la mobilité pour partager quelques réflexions sur l’art de manipuler les chiffres. Une pièce étant tombé une fois sur le côté pile est-elle forcément truquée ?
Le chiffre comme indicateur
Soit une pièce, on considère que celle-ci a 50% de chance de tomber sur le côté pile et autant de chance pour le côté face. Après un premier lancer, peut-on considérer cette pièce comme normale ? Jusque là tout indique que la chance a 100% de chance de tomber d’un côté en particulier. La relancer une seconde fois permettrait-il d’aboutir à une conclusion ? Combien de lancers seraient nécessaires pour conclure sur la normalité de cette pièce ? Au bout d’une centaine de lancers, une pièce tombée 53 fois du côté pile (soit 53%) serait-elle normale ? À vrai dire il n’y a pas de réponse à cette question. C’est même une des critiques contemporaines du modèle scientifique où l’on observe une dérive de la significativité sous le nom de p-hacking. Pour résumer simplement, imaginez quelqu’un avec un préjugé qui lancera la pièce jusqu’à obtenir le résultat voulu.
Un chiffre quel qu’il soit, n’est qu’un chiffre et doit être considéré comme un indicateur d’un phénomène complexe plutôt qu’une vérité. Entre 2018 et 2019, le nombre de cyclistes tués sur les routes a augmenté de 7% tandis que le nombre de cyclistes aurait augmenté de 5%. Pour autant, cela ne veut pas dire que tous les néo-cyclistes sont morts emportant avec eux une partie des anciens. Les 5% représentent en réalité 6300 cyclistes tandis que le nombre de morts a augmenté jusqu’à 187, une réalité cachée derrière le pourcentage. D’où l’importance de toujours vérifier les chiffres avant de les réutiliser. D’une certaine manière on peut y voir une relation non linéaire entre le nombre de cyclistes et leur mortalité, le risque de mourir à vélo n’est pas une constante. On remarquera par ailleurs que la responsabilité du cycliste lors des collisions mortelle est de 43% et que durant l’année 2019 aucun piéton n’a été tué par un cycliste contrairement aux croyances populaires (la seule mort répertoriée mettant en cause un engin de déplacement personnel motorisé).
Quid de la méthodologie
Derrière les chiffres, un protocole. Vous l’aurez compris, des chiffres lancés tels quels n’ont que peu d’utilité. « Les vélos rouges sont plus rapides ». Pourquoi pas, mais selon quelles preuves ? « Je le sais, je suis plus rapide que mon voisin et mon vélo est rouge tandis que le sien est noir » sera peu convaincant et souligne l’importance de la méthodologie qui a permis d’obtenir le résultat. Vous êtes nombreux à avoir remis en question les temps inscrits sur notre carte des temps de parcours, et à raison. En effet sur cette carte, un seul temps est affiché entre deux points quel que soit le sens de circulation ce qui reviendrait à ignorer le dénivelé. Sans revenir sur les détails, les temps inscrits étaient ceux obtenus à l’aide du calculateur Geovelo et non le fruit de notre imagination. Nous aurions très bien pu faire comme nos prédécesseurs et chronométrer nos propres temps de trajets un autre problème serait vite apparu, la reproductibilité. Comme mon voisin, vous n’avez pas forcément la chance d’avoir un vélo aussi rapide (lire « rouge ») que le mien, et peut être n’aimez vous pas autant le chocolat que moi. Une carte de mes temps de trajet ne vous serait que d’une utilité limitée à moins que vous m’idolâtriez en quel cas je vous conseille vivement de revoir vos aspirations. Cette carte avait pour objectif de donner un temps de référence aux usagers ainsi que de pouvoir comparer les chiffres avec ceux d’autres villes ayant suivi la même méthodologie.
Cet été, un aménagement transitoire a vu le jour sur le boulevard sous la forme d’une voie partagée entre bus et cyclistes. L’association n’est jamais revenue dessus et pour cause, tout le monde n’est pas du même avis. Je fais partie de ceux qui jugent non seulement cette expérience positive mais également en faveur d’une pérennisation. Mon point de vue est exclusivement subjectif, et pour cause, je n’ai en ma possession que mon propre retour d’usage et les chiffres rapportés par la presse faute d’un rapport d’évaluation. Il serait question de 56 ou 60 cyclistes par jour. D’où vient ce comptage ? Étais-je compté si je ne faisais qu’emprunter l’aménagement sur le rond-point Mallarmé ? Si je suivais une partie de l’aménagement ? Il est question de ralentissements sur cet axe, de quoi parle-t-on ? Sur la base d’une baisse de la circulation de 60%, était-ce vraiment une situation anormale que l’on a crée en prenant la moitié de la voirie pour bus et cyclistes ? Qu’en pensent les usagers de bus ? Les piétons (Croyez le ou non, il y en a) ? Les riverains ? Savons-nous habituellement combien de cyclistes empruntent cet axe qui leur est juridiquement accessible ? À partir de combien de cyclistes peut-on juger l’expérience concluante ? Un seul ? Deux ? Aurait-il fallu faire passer toute la population bisontine sur cet axe ? Pour ma part, passer de 0 (Chiffre sorti du chapeau mais qui semble coller à ceux donnés par les automobilistes convaincus, à la nuance que ces derniers auraient fait le comptage sur la ville, voire la France, entière) à 60 à l’aide de cônes mobiles et de peinture est un exploit en soi. Bref, tout ça revient à une unique question : Quelle était la méthodologie ?
Quelle interprétation ?
Une fois les résultats en main, encore faut-il en tirer une interprétation. Si je venais à vous donner des œufs, difficile de savoir si vous faut en faire une omelette ou des œufs pochés. C’est pourquoi les bonnes pratiques en science invitent à formuler une hypothèse répondant à une problématique et en définir les conditions de validation en amont de l’expérimentation. L’intégralité de ces paramètres construisent un contexte. Celui-ci étant indispensable pour une interprétation pertinente. À partir des données à disposition, une certaine forme de contexte, il est possible de réaliser des prédictions. Dernièrement, le Programme mondial de recherche sur le climat a, par exemple, prédit une augmentation de la température d’environ 3°C d’ici 2100. Ce résultat est d’autant plus intéressant qu’il est possible de le comparer de façon méthodique (Je vous en ferai grâce), avec d’autres résultats, comme ceux d’un groupe de chercheurs français qui prévoient quant à eux une hausse de 6°C ou le GIEC qui prévoyait une hausse de 5°C. Chacune de ces études sont en réalité des informations importantes, ce sont des indicateurs obtenus à l’aide de méthodologies différentes mais qui tendent à pointer dans une direction commune, un réchauffement climatique. Ceci étant posé, qu’en dire ? Tout d’abord que quelques degrés ne feront pas une grande différence. Je porte aussi bien le t-shirt que la doudoune en fonction du temps, contrairement à ce que certains pensent, probablement les même qui utilisent l’argument du sac de plâtre pour justifier ne pas vouloir favoriser l’usage du vélo. D’une certaine manière ma conclusion tient la route, et pourtant, des prétendus experts arrivent à rédiger plus d’une trentaine de pages pour s’en inquiéter (et être payés) ? Peut être auraient-ils des arguments autres ainsi qu’une vision différente de la mienne.
De la même façon, peut être que réassigner un espace de stationnement usuel pour y installer des arceaux à vélo n’est pas une si mauvaise idée ? Ou peut être que si. Tout est une question de contexte et de point de vue. En ce sens, l’Association Vélo Besançon se veut être là pour défendre l’intérêt du cycliste. Cela implique nécessairement une mise en valeur du vélo comme véhicule de déplacement mais également la sécurité de ses usagers. Ce n’est pas un combat contre la voiture, objet comme un autre, qui est mené mais contre une société où la voiture est devenue la normalité. Dans un contexte d’insécurité routière, de dégradation climatique et de fracture de la mobilité, nous souhaitons mettre un frein à l’usage excessif de l’automobile pour revenir à une autre forme de déplacement qui se trouve être le vélo. Aujourd’hui minoritaires, nous souhaitons l’amélioration des conditions pour pouvoir espérer ne serait-ce qu’une égalité lors des décisions d’aménagement.
Conclusion
Suite à notre récente vélorution intitulée « À nous les grands boulevards ! », un citoyen s’est prestement lancé d’un commentaire :
« 0,09 % de la population bisontine. Très significatif ! »
Travaillant activement sur la question, lire ce commentaire m’a fait doucement rire tant sa simplicité contraste avec la complexité d’une réalité. Je précise bien ici « une » réalité, pour ne pas porter de préjugé sur le fait qu’il n’y aurait qu’une unique réalité à laquelle j’aurais accès et pas cette personne. Quelle est la pertinence du pourcentage ici ? Combien de personnes auraient été nécessaires ? Parle-t-on réellement de la « population bisontine » ? En m’installant à Besançon je n’ai pas reçu de document m’obligeant à adhérer à l’association. Qu’est ce que la « significativité » ? Qu’une personne fasse une déclaration ? Qu’un groupe porte un même message ? Qu’une association représente des citoyens ?
Selon la définition communément acceptée, une vélorution est une manifestation cycliste (ouverte à d’autres formes de déplacements) visant à promouvoir l’usage du vélo. À cet effet, qu’attendions nous si ce n’est la simple promotion de l’usage du vélo ? Aurions-nous été le double ou le triple, en quoi cela aurait changé le message ? Qui a tort de celui qui cherche à se faire entendre de celui qui le marginalise ? Qui en son âme et conscience serait contre la sécurité des usagers d’un espace public ? Qui serait contre la vie de cyclistes au prix du confort de certains ? Comment justifier la censure d’une minorité ayant pour commis pour seule faute de ne pas être plus ?