Après plusieurs éditions accueillant une grande roue à Besançon, pourquoi ne pas continuer et proposer d’autres attractions telles que des montagnes russes ? Évidemment cela ne se fera pas, au grand dam de ceux en quêtes de sensations fortes à qui l’on ne peut que conseiller d’enfourcher leur vélo en direction d’un des points noirs de la ville, mais l’idée est là à savoir : « Qu’est ce qui différencie la construction d’un parc d’attraction à celle d’une ville ? ». Dans un monde en mouvement, quel est l’avenir de l’espace public ? Dans un monde en mouvement, où est la limite entre lieu de vie et lieu de transit ? Dans un monde en mouvement, où est la place de chacun ?
Le parc d’attractions comme ville
Des sourires sur tous les visages, des décors féeriques et l’odeur de sucreries à chaque coin de rue, tout enfant rêverait de vivre dans un parc d’attraction. Ce lieu singulier où la priorité est mise sur le bonheur de chacun au cœur d’un ballet coordonnée d’acteurs en collaboration. Pourtant, rien n’empêche de recréer cet univers en dehors des barrières du parc.
Dans un parc, l’usager prioritaire est le piéton. Que ce soit pour se déplacer entre les différentes attractions ou simplement profiter de friandises sur un banc. Aucun véhicule n’est nécessaire. Pas de transit, seulement une fonction. Par soucis de limitation d’espace, celui-ci est utilisé à son maximum de manière à ce que chaque recoin devienne un lieu de vie et d’usage.
Reposé, le visiteur peut reprendre son chemin, ses chemins. À vrai dire, rien ne l’oblige à suivre une route précise et il peut tout aussi bien se laisser porter par ses envies. Dans le premier parc Disneyland construit en 1955 il n’y avait aucune barrière. Les portes s’ouvraient pour le visiteur un espace sans limites ponctué d’animations et curiosités. C’est à partir des lignes de désir produites que les chemins ont ensuite été aménagés comme on les connaît aujourd’hui. On s’assurait ainsi de la pertinence des cheminements pour les usagers prioritaires ce qui n’a pas empêché par la suite des modifications.
Pour les plus pressés, ou peu charmés par les cabrioles proposées dans les attractions gargantuesques, un monorail dessert l’intégralité du parc. Chaque arrêt est placé à proximité d’un centre d’intérêt et assure une bonne interface avec le mode piétonnier. Vous avais-je dis que le piéton était prioritaire en ces lieux ?
Derrière la façade existe tout un système logistique. Un vaste réseau de voies souterraines permettrait d’assurer la logistique avec, entre autres, le transport de matières premières jusqu’aux différents coins du parc. Comme quoi, imaginer des véhicules dans des tunnels n’est pas l’exclusivité de certains milliardaires contemporains. Certains iront même jusqu’à grouper des véhicules et appeler l’ensemble un métro.
Évidemment, toute fée nécessite parfois un peu d’aide. Pour cela, des équipes de techni-lutins à bord de chariots mobiles ont la possibilité de circuler à la surface. Magiquement, ces chariots auraient reçu un sort les empêchant de faire du mal aux piétons comme on pourrait l’observer en dehors de l’enceinte du parc. La nuit venue, seraient même possible de faire circuler de grands chariots mobiles pour le bonheur de petits et grands avant de retourner de là où ils sont venus.
La ville comme parc d’attractions
En dehors de l’enceinte, la réalité est toute autre. Et ce malgré l’effort fait dans la disparition progressive des paillettes. Quelques mètres suffiront à rejoindre l’entrée du parking, attraction singulière où l’issue se situe dans la sécurité conférée par sa voiture qui aura bronzé toute la journée, et gare à ceux qui seront surpris en train de rêver encore un peu, un coup de klaxon suffira généralement à les ramener sur Terre. Cela montre néanmoins un autre possible. Un lieu où stationner son véhicule à l’extérieur d’une zone ne relèverait pas d’un dogmatisme et d’une dictature bobo-écolo-gauchiste comme il serait reproché dans certaines villes. Cela existait d’ailleurs déjà à l’Antiquité. Tous sont logés à la même enseigne. Visiteurs ou castmember. Mais d’où vient cette différence de perception d’un comportement qui semble si logique ? Il n’existe pourtant pas de code du déplacement dans les parcs ni même de panneaux interdisant l’accès aux véhicules.
Le jalonnement est un élément indispensable à la coordination. Simple, clair et compréhensible quelque soit l’origine. Les panneaux placés au sein du parc permettent de diriger les usagers et d’assurer un certain contrôle sur les flux. À l’entrée, de nombreux panneaux viendront indiquer les zones de stationnement, au cas où certains ne seraient pas capable de voir les grands espaces bitumés où reposent ce qui deviendra par la suite de vrais fours roulants. La succession d’information assure l’accompagnement des individus au cours de la visite dans un lieu accueillant non pas des véhicules mais des personnes.
Contrairement aux idées reçues, le stationnement n’est jamais gratuit. Seulement réparti différemment entre les individus. À cet effet le groupe Disney propose une offre à 30€ pour les visiteurs, majorée à 45€ si l’on souhaite économiser de précieux pas pour la journée à venir. Le stationnement peut également être offert, à condition bien sur de séjourner (et consommer) dans un des hôtels partenaires au parc. Différents tarifs, différents individus, un même usage.
Enfin, le lieu a été principalement pensé pour et par des piétons. Il est impensable d’explorer le parc à bord de sa voiture ,voire sur son vélo bien que l’idée soit tentante, alors même que rien ne le prédisait. À quoi aurait ressemblé le parc et ses chemins si au lieu de piétons le parc de 1955 avait accueilli des automobilistes ? De longues avenues bitumées parsemées de drive-in où l’objectif serait de consommer en réduisant sa vitesse le moins possible ? Chaque usager est défini par un profil et des spécificités et l’évidence indique que c’est à pied que l’environnement est plus riche.
Un autre visage moins connu de Walt Disney est son intérêt pour l’urbanisme et le transport. Le parc à thème été voué à faire partie d’un plus grand projet comprenant entre autre EPCOT, Projet expérimental d’une communauté du futur, qui devint suite à son décès également un parc d’attractions. EPCOT se devait être un projet de ville moderne reposant sur l’expérience et le mouvement. La ville serait divisée en différents îlots sur un cercle avec au centre les quartiers d’activités et en périphérie des zones résidentielles. Sur ce modèle en rayon les lieux sont conçus pour différents usages et usagers. Les quartiers résidentiels étant principalement piétons et reliés au centre à l’aide d’un réseau de monorails. Pour les automobiles et les véhicules de livraison, on retrouve encore une fois l’idée de souterrains. Plusieurs étages de tunnels couperaient la ville par son centre pour permettre son accès aux individus et ressources avant d’être redistribués de manière locale. La voiture n’aurait d’utilité que de quitter la ville comprenant déjà tout le nécessaire. C’est avec surprise que l’on se rend compte que dans ce tableau manque un élément, le vélo.
Un modèle parfait ?
Dans les documents liés à la conception d’EPCOT, ne figure nulle part la petite reine qui était pourtant connue de W.Disney. L’on pourrait sans difficulté s’imaginer la place de celle ci sur les routes résidentielles qui n’auraient alors qu’un très faible trafic automobile. Les habitants bénéficieraient d’une alternative au monorail, chaque ligne ne reliant le centre qu’à un îlot, offrant une certaine indépendance et autonomie dans les déplacements. À ce sujet Disney en montre également les dérives au travers de la communauté d’Axiome du long métrage Wall·E.
La seule limite imputable au modèle EPCOT étant la capacité d’attraction de la ville sur laquelle repose le non usage de la voiture. Une coordination entre les différents acteurs est indispensable afin de maintenir des services subvenant à la fois aux touristes mais également aux habitants.
Différents projets de « Ville Planifiée » ont aujourd’hui vu le jour comme Celebration en Floride, Val d’Europe en France ou Masdar à Abou Dhabi. Les résultats étant plutôt mitigés. Le risque majeur pointé du doigt étant la ségrégation au travers du prix de l’immobilier qui ne laisserait s’installer que les plus privilégiés. Un autre défaut est l’idée de définir l’usage d’un espace plutôt que d’en favoriser l’appropriation par les usagers, ce qui s’oppose radicalement à la méthode choisie lors de conception du premier parc Disney. Dès lors, on retrouve la limite posée par un modèle pensé de novo et qui laisse peu de place au pré-existant. Il est complexe que de vouloir changer un lieu tout en conservant le patrimoine.
La ville d’attractions
Les parcs d’attractions sont des lieux qui par définition sont des pôles d’attractivités qui ne cessent d’attirer les visiteurs. Bâtir un parc d’attractions est similaire en bien des points à la construction d’une ville. Dans un contexte d’étalement urbain et d’appauvrissement du centre-ville l’on pourrait tirer profit du modèle des parcs afin de redynamiser les zones urbaines. Loin d’être une méthode parfaite, le modèle questionne la relation entre l’usage d’un espace et son devenir au sein d’un ensemble en évolution constante. La vie publique se déroule dans l’espace public. Polymorphe, indéfini, entre bâtiments et terrains privés. Lieu même où prend également place la circulation au sein du tissu urbain. Quand la moitié de cet espace est dédié au stockage et aux déplacements d’automobiles, que reste-t-il pour les autres usages ? Refuser de diminuer la part donnée à l’usage de l’automobile pousse naturellement au choix d’opposer les autres modes de déplacements et l’usage même d’espace de vie. Pensée pour le divertissement l’on pourrait penser qu’une « ville d’attractions » mènerait à un lieu présentant de nombreux défauts. Pourtant ces derniers montrent sur le papier de nombreux avantages qu’il est bon de garder à l’esprit. Alors que l’on semble avoir perdu la place de l’individu dans l’espace, il est parfois bon de redevenir un enfant.